L’interdiction des bâtons sur la Diagonale des Fous fait couler beaucoup d’encre dans le monde du trail. Cette règle stricte, unique en son genre parmi les grands ultras mondiaux, divise profondément la communauté. D’un côté, les organisateurs du Grand Raid défendent fermement cette interdiction. De l’autre, une partie croissante des coureurs considère cette mesure comme absurde et contre-productive. Plongeons au cœur de cette controverse qui revient chaque année sur le devant de la scène. Regarder le direct de la Diagonale des fous ici.
Sommaire
Les arguments officiels de l’interdiction

Protéger les sentiers classés à l’UNESCO
La raison principale avancée par les organisateurs tient en un mot : préservation environnementale. La majorité du parcours traverse des zones exceptionnelles comme le cirque de Mafate et le Parc national de La Réunion, tous deux inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO. Avec près de 2500 coureurs qui s’élancent chaque année, les pointes métalliques des bâtons multiplié par ce nombre impressionnant de participants risqueraient d’éroder les sentiers fragiles.
Les organisateurs craignent que ces milliers de coups de bâtons répétés ne creusent les marches taillées à la main, n’abîment les sols volcaniques et ne dégradent irrémédiablement ces chemins empruntés aussi par les randonneurs tout au long de l’année. L’argument semble louable sur le papier : préserver ce joyau naturel pour les générations futures.
Pourtant, aucune étude scientifique indépendante n’a jamais été publiée pour quantifier réellement l’impact des bâtons par rapport à celui des milliers de semelles qui martèlent ces mêmes sentiers pendant quatre jours. Cette absence de données concrètes transforme cet argument en simple posture symbolique plutôt qu’en mesure véritablement fondée.
La sécurité collective avant tout
Le second argument concerne la sécurité des coureurs. Les sentiers de la Diagonale sont réputés pour leur technicité : étroits, jonchés de marches irrégulières, avec des déclivités parfois extrêmes. Dans ces conditions, selon l’organisation, les bâtons deviendraient dangereux.
Certains risques identifiés semblent pertinents :
- Les pointes qui peuvent blesser un coureur lors d’un dépassement serré
- Les embouteillages aggravés dans les passages techniques
- Le risque de trébucher dans les bâtons d’un autre coureur la nuit
- Les chutes de pierres potentiellement déclenchées involontairement
- La fatigue extrême qui multiplie les erreurs de manipulation
Après 20, 30 ou 40 heures de course, la lucidité n’est plus au rendez-vous. Un bâton mal placé, une pointe qui accroche, et c’est la chute assurée. Sur 175 kilomètres parcourus dans un état de fatigue extrême, le calcul semble tenir debout. Mais est-ce vraiment suffisant pour justifier une interdiction totale ?
Le règlement sans appel

Une pénalité lourde de conséquences
Le règlement du Grand Raid ne laisse aucune place à l’ambiguïté : « tout usage de bâton, de quelque type que ce soit, est formellement interdit ». Cette règle s’applique sur l’intégralité du parcours, de Saint-Pierre à Saint-Denis, sans exception.
En cas d’infraction constatée, le directeur de course inflige automatiquement une pénalité d’une heure sur le temps final. À cela s’ajoute une sanction financière du Parc National de La Réunion dont le montant peut sérieusement plomber votre budget post-course. Pour un coureur qui se bat pour terminer dans les temps impartis, cette heure de pénalité peut faire la différence entre un finisher glorieux et un abandon forcé.
Une règle qui s’étend à toutes les courses
Cette interdiction ne concerne pas uniquement la Diagonale des Fous. Elle s’applique rigoureusement aux quatre autres courses du Grand Raid :
- Le Trail de Bourbon (100 km)
- La Mascareignes (70 km)
- Le Zembrocal Trail (149 km en relais)
- Le Métis Trail (50 km)
Aucune exception, aucun compromis. Cette cohérence dans l’application de la règle montre bien la volonté ferme des organisateurs de maintenir cette spécificité coûte que coûte.
Pourquoi cette règle pose problème

Une exception mondiale qui interroge
Parcourez le calendrier des plus grands ultras de la planète : UTMB, Hardrock 100, Western States, Transvulcania, Ronda dels Cims… Tous autorisent les bâtons sans que cela ne pose le moindre problème. Certains de ces parcours traversent pourtant des parcs nationaux, des réserves naturelles, des sites tout aussi précieux que ceux de La Réunion.
À la Hardrock, les coureurs grimpent à plus de 4000 mètres d’altitude sur des sentiers rocheux fragiles. À l’UTMB, ils traversent trois pays et plusieurs zones protégées. Sur la Western States, ils évoluent dans des espaces sauvages américains strictement encadrés. Partout ailleurs, on éduque, on sensibilise, on impose des embouts en caoutchouc… mais on n’interdit pas.
Cette incohérence interroge forcément. Comment expliquer qu’une règle jugée indispensable à La Réunion soit totalement absente sur tous les autres grands rendez-vous mondiaux ? Cette spécificité finit par ressembler davantage à un héritage symbolique qu’à une véritable mesure de sécurité ou de protection environnementale.
L’impact physiologique catastrophique
Parlons franchement de ce que cette interdiction change concrètement pour les coureurs. Sur 175 kilomètres et 10 150 mètres de dénivelé positif, l’absence de bâtons transforme radicalement l’épreuve.
En montée, tout le poids du corps repose exclusivement sur les jambes. Pas de relais possible sur le haut du corps, pas d’économie de geste, pas de variation de posture. Quand vous grimpez pendant des heures vers le Maïdo ou dans les escaliers interminables du parcours, vos cuisses, fessiers et mollets encaissent sans répit. La fatigue s’installe plus vite, plus brutalement.
En descente, c’est encore pire. Les bâtons offrent normalement ce troisième point d’appui crucial qui permet de contrôler sa trajectoire, d’amortir les chocs, de freiner dans les passages techniques. Sans eux, les quadriceps explosent littéralement. Les genoux et les chevilles encaissent des impacts démesurés. Le risque de chute augmente de manière exponentielle, surtout la nuit sur des sentiers humides jonchés de racines.

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⚡ Voir les nouveautés i-RunPour la posture générale, l’absence de bâtons oblige à compenser autrement. Les lombaires trinquent, la nuque se crispe, les épaules se contractent. Après 30 heures de course, cette accumulation de tensions transforme chaque pas en calvaire supplémentaire.
Les conséquences réelles sur la course

Des abandons en cascade
Les statistiques parlent d’elles-mêmes : environ 30% des coureurs abandonnent la Diagonale des Fous. Beaucoup explosent physiquement bien avant d’avoir parcouru la moitié du tracé. Les descentes techniques, en particulier celle du Colorado en fin de parcours, deviennent un véritable massacre articulaire sans l’aide stabilisatrice des bâtons.
La majorité des finishers met entre 40 et 55 heures pour boucler la course. C’est considérablement plus long que sur des ultras comparables où les bâtons sont autorisés. Cette différence ne s’explique pas uniquement par la difficulté du terrain : elle découle aussi de l’épuisement musculaire précoce causé par l’impossibilité de répartir l’effort sur quatre points d’appui.
Une alimentation et une hydratation compromises
Voici un aspect souvent négligé du débat : on mange moins et on boit moins sans bâtons. Pourquoi ? Parce qu’on a besoin de ses deux mains pour progresser sur les passages techniques. Impossible de sortir son gel ou sa gourde facilement quand on doit s’accrocher aux rochers ou se stabiliser dans une descente périlleuse.
Cette gestion alimentaire dégradée crée un déficit calorique qui s’accumule au fil des heures. Les coureurs se retrouvent en panne sèche énergétique plus rapidement, ce qui aggrave encore la fatigue musculaire. Un cercle vicieux dont il devient presque impossible de sortir une fois enclenché.
Comment s’adapter malgré tout

Un entraînement spécifique indispensable
Si vous envisagez de vous lancer sur la Diagonale, impossible de débarquer en ayant passé six mois à vous entraîner avec des bâtons. Votre corps doit impérativement être conditionné à gérer le dénivelé sans cet appui supplémentaire.
Les spécialistes recommandent de commencer à courir sans bâtons au moins deux à trois mois avant la course. Débutez par de courtes sorties vallonnées, puis augmentez progressivement la distance et le dénivelé. L’objectif ? Renforcer spécifiquement les quadriceps, les mollets et tous les stabilisateurs articulaires qui vont trinquer pendant 175 kilomètres.
Les escaliers deviennent vos meilleurs alliés à l’entraînement. Montez-les, descendez-les, répétez l’opération jusqu’à saturation complète. Ces séances ingrates préparent le corps aux milliers de marches irrégulières qui jalonnent le parcours réunionnais. Travaillez également votre équilibre sur terrains instables pour compenser l’absence du troisième point d’appui.
Les champions y arrivent, pourquoi pas vous ?
Les organisateurs aiment rappeler que les plus grands noms du trail mondial ont brillé sur la Diagonale sans bâtons. Kilian Jornet, François d’Haene, Grégoire Curmer, Aurélien Dunand-Pallaz… Tous ont dompté l’île intense sans l’aide de ces précieux appuis carbonés.
Cet argument tient debout jusqu’à un certain point. Ces athlètes d’exception possèdent des capacités physiques hors norme et peuvent se permettre des adaptations que le commun des mortels peine à reproduire. Pour un trailer lambda qui met 45 heures à finir, la comparaison avec des élites qui bouclent en 23 heures ne fait pas vraiment sens.
Le débat qui ne cesse de gronder
Deux visions du trail qui s’affrontent
Cette interdiction cristallise en réalité deux philosophies radicalement différentes du trail. D’un côté, une vision traditionnelle où l’endurance se mesure à la souffrance endurée, où il faut « mériter » sa Diagonale, où le bâton est perçu comme un gadget superflu voire une forme de triche.
De l’autre, une approche moderne qui considère les bâtons comme un outil d’efficacité, de prévention des blessures, de gestion intelligente de l’effort sur la durée. Cette génération de trailers formés aux ultras techniques internationaux ne comprend pas pourquoi se priver volontairement d’un équipement qui fait consensus partout ailleurs.
Le fossé se creuse d’année en année entre ces deux camps. Certains coureurs renoncent même à s’inscrire à la Diag’ parce qu’ils savent qu’ils ne tiendront pas sans leurs bâtons. D’autres tentent l’aventure et explosent dès les premiers passages difficiles, leur corps n’ayant jamais été habitué à encaisser autant sans aide extérieure.
L’heure du changement ?
De plus en plus de voix s’élèvent pour demander une réévaluation sérieuse de cette règle. Non pas pour transformer la Diagonale en UTMB bis, mais pour ouvrir un vrai débat basé sur des données concrètes plutôt que sur des traditions qu’on ne remet jamais en question.
La sécurité pourrait être améliorée avec une meilleure gestion des flux et des zones de dépassement obligatoires. L’impact environnemental des bâtons pourrait être contenu avec des embouts en caoutchouc obligatoires, des zones ponctuellement interdites sur les sections les plus fragiles, et surtout une vraie éducation des coureurs.
L’authenticité de la course ne dépend pas du matériel autorisé ou interdit, mais de l’engagement des participants face à un parcours qui reste l’un des plus durs au monde, bâtons ou pas. La Diagonale des Fous n’a pas besoin de cette interdiction pour rester mythique : elle l’est déjà par son tracé dément, ses conditions climatiques changeantes, ses nuits blanches à enchaîner.
Quentin, 26 ans, passionné de trail : suivez mes aventures au cœur des sentiers, entre défis sportifs et communion avec la nature.