Le 3 octobre 2025 restera gravé dans l’histoire de l’alpinisme moderne. Kilian Jornet a touché le sommet du Mount Rainier après 31 jours d’efforts ininterrompus à travers l’Ouest américain. Ce volcan de 4 392 mètres d’altitude marquait l’aboutissement d’une aventure hors norme baptisée States of Elevation.
Parti le 31 août depuis le Longs Peak dans le Colorado, le Catalan a parcouru 5 145 kilomètres et enchaîné 123 045 mètres de dénivelé positif. Tout ça sans jamais utiliser le moindre véhicule motorisé. Uniquement ses jambes pour courir, son vélo pour relier les massifs, et une volonté qui force le respect.
Sommaire
- 1 72 fourteeners reliés en propulsion humaine
- 2 Colorado : seize jours d’enchaînements titanesques
- 3 Desert Ride : cinq jours à travers quatre États
- 4 Californie : granit et volcans
- 5 Mount Shasta : conditions extrêmes
- 6 Vers le Mount Rainier : dernière approche
- 7 Mount Rainier : le point d’orgue
- 8 Une première historique aux multiples facettes
72 fourteeners reliés en propulsion humaine

Une première mondiale signée Kilian Jornet
Personne avant lui n’avait osé relier l’intégralité des 72 fourteeners américains en autonomie complète. Ces sommets dépassent tous les 14 000 pieds, soit 4 267 mètres. Disséminés sur six États différents, ils représentent l’un des défis les plus emblématiques de la culture montagnarde nord-américaine.
Jornet a littéralement redessiné la carte de ces géants. Là où d’autres grimpent ces montagnes isolément, lui les a tissées en une ligne continue. 488 heures d’activité réparties sur un mois entier. Aucune pause moteur, aucun raccourci, juste la route et les sentiers.
« One with Nature, one with others — numbers are just the excuse » – Kilian Jornet
Cette citation résume parfaitement l’état d’esprit du projet. Les chiffres impressionnent, certes. Mais ils servent avant tout de prétexte à une exploration géographique et humaine profonde.
Alpine Connection : le prélude européen
L’aventure américaine s’inscrit dans la continuité d’Alpine Connection, projet réalisé en 2023. Kilian avait alors relié à vélo et à pied une série de sommets mythiques des Alpes : Mont Blanc, Cervin, Eiger. Record battu avec une vitesse trois fois supérieure à la référence précédente.
States of Elevation transpose cette philosophie outre-Atlantique, mais à une échelle démesurée. Six États au lieu d’un massif unique. Plus de 5 000 kilomètres contre quelques centaines. Une dimension continentale qui change radicalement la donne.
Colorado : seize jours d’enchaînements titanesques
56 sommets dans les Rocheuses
Le départ était donné le 31 août depuis le Longs Peak, à 4 345 mètres. Ce sommet du parc national des Rocheuses ouvrait une séquence de seize journées colossales. Le Colorado concentre la majorité des fourteeners américains, offrant un terrain de jeu idéal pour débuter.
Du Mount Elbert (4 401 m), point culminant de l’État, jusqu’aux San Juan isolés au sud-ouest, Jornet a avalé 56 sommets. Crêtes courues en style rapide, passages rocheux techniques dans les Elks, sections d’escalade modérée : la variété était au rendez-vous.
Nolan’s 14 intégré sans pause
Parmi ces journées marathon, l’une d’elles sort du lot. Kilian a intégré la fameuse Nolan’s 14 : quatorze sommets de la chaîne du Sawatch enchaînés d’une traite. Soit 160 kilomètres et 14 000 mètres de dénivelé positif. D’habitude, cette ligne représente déjà un défi autonome majeur.
Lui l’a glissée dans son planning sans ciller. Pas de pause spécifique, pas d’assistance extérieure renforcée. Juste un maillon supplémentaire dans sa chaîne de sommets. L’approche donne le vertige.
Les conditions météo ont rythmé cette première phase :
- Orages quotidiens l’après-midi
- Chutes de neige précoces en altitude
- Journées dépassant régulièrement 16 heures d’activité
- Enchaînements ascension-descente-vélo-nouvelle ascension
Bilan après deux semaines : 1 826 km, 73 385 m de D+ et plus de 246 heures d’efforts cumulés. Les deux tiers du défi étaient déjà validés. Mais le plus dur restait à venir.
Desert Ride : cinq jours à travers quatre États

La traversée du Grand Ouest
Le 16 septembre, le décor bascule radicalement. Depuis les San Juan, Kilian enfourche son vélo direction Californie. Cette transition baptisée Desert Ride s’étale sur cinq journées d’anthologie. Distance totale : 1 412 kilomètres. Dénivelé : 9 699 mètres sur le bitume et les pistes.
Chaque étape dépasse les 12 heures de selle, parfois 15. Les conditions testent la résistance mentale autant que physique : chaleur écrasante frôlant les 38°C, pluies soudaines, vents de face interminables.
Le tracé serpente à travers les plateaux du Nouveau-Mexique, longe les formations rocheuses rouges de l’Arizona, puis traverse le Mojave National Preserve. Quatre États franchis en moins d’une semaine. Colorado, Nouveau-Mexique, Arizona, Californie : chaque frontière représente un nouveau paysage, une nouvelle ambiance.
Le 21 septembre, Kilian atteint la base de la Sierra Nevada. La séquence désertique est bouclée. Les Rocheuses et le granit californien sont désormais reliés par une ligne continue tracée à la force des mollets.
Californie : granit et volcans
Norman’s 13, le tronçon technique
L’arrivée en Californie coïncide avec l’une des sections les plus engagées du projet. Norman’s 13 relie treize sommets californiens dépassant les 4 000 mètres. Cette ligne mythique exige 160 kilomètres et 12 000 mètres de dénivelé positif. Mais surtout, elle nécessite de longues sections d’escalade et des crêtes effilées.
Kilian n’était pas seul sur ce tronçon. Plusieurs figures locales l’ont épaulé : Olivia Amber (détentrice récente du record féminin), Matt Cornell, Rod Farvard, Dan Patitucci et Kimberly Strom. Ces compagnons d’un jour ou d’une nuit l’ont accompagné dans les passages les plus exposés, notamment sur les Palisades.

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⚡ Voir les nouveautés i-RunLes conditions ont ajouté du piment :
- Tempêtes de neige inattendues
- Brouillard épais réduisant la visibilité
- Rochers verglacés multipliant les risques
- Pied écrasé sous un bloc (sans conséquence grave heureusement)
Malgré la fatigue accumulée et le manque de sommeil, Jornet a poursuivi. Nouveau record établi en 56h11, mais ce n’était qu’une étape intermédiaire dans son périple.
White Mountain Peak : désert d’altitude
Après le granit sierra, direction les Inyo Mountains au-dessus de la Vallée de la Mort. Le White Mountain Peak culmine à 4 344 mètres. Ce 70e fourteener se dresse dans un environnement radicalement différent : univers austère, minéral, presque lunaire.
L’approche traverse un désert d’altitude sans arbres ni glaciers. La Sequoia National Forest à l’ouest, l’immensité du Grand Bassin à l’est. Un contraste saisissant avec la densité granitique précédente.
Mount Shasta : conditions extrêmes

626 kilomètres pour rejoindre le volcan
Depuis Bishop, il faut deux jours de vélo pour atteindre le Mount Shasta (4 322 m). L’itinéraire traverse le Nevada puis remonte vers le nord de la Californie. 626 kilomètres sous un ciel d’abord couvert, puis sous des trombes d’eau. Journées de 14 à 15 heures de selle qui mettent le moral à rude épreuve.
Le 30 septembre arrive enfin. Kilian s’attaque au 71e fourteener, ultime sommet californien. Les conditions sont dantesques : vent violent, neige fraîche, température ressentie de -20°C au sommet.
L’athlète catalan décrit cette ascension comme l’une des trois situations de vent les plus extrêmes de toute sa carrière en montagne. Pourtant, il grimpe, redescend, et reprend immédiatement son vélo. Direction Oregon et État de Washington. Plus qu’un sommet à valider.
Vers le Mount Rainier : dernière approche
800 kilomètres à vélo en trois jours
À peine redescendu du Shasta, le 30 septembre, Kilian remonte en selle. Ian Murray, triathlète reconnu, l’accompagne sur les premiers 95 kilomètres. Pistes volcaniques en gravier à travers les forêts du nord californien. La journée se termine avec un vent favorable au coucher du soleil, bivouac juste avant la frontière de l’Oregon.
Le 1er octobre marque la plus longue journée de vélo du projet : 390 kilomètres et près de 14 heures de selle. Les collines verdoyantes de l’Oregon défilent, l’air devient humide et frais. Les plateaux désertiques laissent place aux forêts denses du Pacific Northwest.
Le 2 octobre, nouvelle étape colossale en solitaire : 302 kilomètres et presque 16 heures sur la route. Arrivée au pied du Mount Rainier, État de Washington. Après plus de 5 000 kilomètres cumulés, le dernier sommet se dresse enfin devant lui.
Mount Rainier : le point d’orgue

Le volcan des Cascades
Le Mount Rainier domine l’État de Washington du haut de ses 4 392 mètres. Point culminant de la chaîne des Cascades, ce volcan actif abrite 25 glaciers, formant le plus vaste système glaciaire des États-Unis continentaux. Son relief impressionne : il s’élève de plus de 4 000 mètres au-dessus des vallées environnantes.
Techniquement, c’est l’un des fourteeners les plus exigeants. Terrain glaciaire complexe, crevasses à franchir, pentes de neige raides, météo capricieuse. Orages soudains, tempêtes de neige et vents violents constituent le quotidien du Rainier.
Le 72e et dernier sommet
Le 3 octobre 2025, après trois jours et 800 kilomètres à vélo depuis le Mount Shasta, Kilian Jornet atteint le sommet. Cette ascension finale parachève une traversée de 31 jours et plus de 5 000 kilomètres.
L’émotion est palpable. Pas de déclaration tonitruante, juste cette phrase : « One with Nature, one with others — numbers are just the excuse ». Les chiffres spectaculaires ne sont qu’un prétexte. L’essence du projet réside ailleurs : dans la connexion avec les éléments, dans les rencontres, dans cette quête d’absolu qui caractérise les grands explorateurs.
Une première historique aux multiples facettes
Trois dimensions rarement réunies
States of Elevation combine des aspects rarement associés :
- Endurance extrême : un mois d’effort quotidien à plus de 15 heures en moyenne
- Alpinisme technique : lignes mythiques comme Nolan’s 14 ou Norman’s 13
- Cohérence écologique : zéro assistance motorisée entre les sommets
Cette approche distingue radicalement le projet des exploits classiques. Kilian n’a pas seulement gravi des montagnes. Il a tracé une ligne cohérente reliant géographie, endurance et exploration durable.
Un héritage américain revisité
Les fourteeners occupent une place centrale dans la culture montagnarde américaine depuis le XIXe siècle. Leur ascension constitue un rite de passage pour les alpinistes du continent. Des défis modernes comme Nolan’s 14 ou Norman’s 13 sont devenus des références mondiales.
Kilian propose une lecture inédite de ces sommets. Non plus comme des objectifs isolés, mais comme un système cohérent reliant géographie et endurance. Par son ampleur, States of Elevation rejoint les plus grandes traversées historiques. Mais il les dépasse par son intégration complète entre ultra-endurance et alpinisme technique.
Le Catalan prouve qu’on peut repousser les limites sans sacrifier la cohérence environnementale. Chaque coup de pédale, chaque foulée témoigne de cette philosophie. Les 123 045 mètres de dénivelé positif cumulés équivalent à trois fois l’Everest depuis le niveau de la mer. Vertigineux.
Quentin, 26 ans, passionné de trail : suivez mes aventures au cœur des sentiers, entre défis sportifs et communion avec la nature.