Quand on parle de l’ascension de l’Everest, les chiffres donnent le vertige : entre 55 000 et 70 000 euros par alpiniste pour tenter le toit du monde. Mais derrière ces montants astronomiques se cache une réalité méconnue : le prix des Sherpas, ces guides indispensables sans qui l’exploit serait tout simplement impossible. Combien coûte réellement un Sherpa ? Que couvre cette rémunération ? Et surtout, ce tarif reflète-t-il vraiment les risques démesurés qu’ils prennent pour permettre aux Occidentaux fortunés de réaliser leur rêve himalayen ?
Sommaire
- 1 Le tarif de base : entre 5 000 et 9 000 dollars
- 2 Le bonus de sommet : 500 dollars de prime au succès
- 3 Ce que le tarif du Sherpa inclut réellement
- 4 L’assurance : le grand absent du package
- 5 La dépendance aux saisons touristiques
- 6 Le business des agences : qui empoche vraiment l’argent ?
- 7 Les alternatives équitables émergent lentement
- 8 Le vrai prix d’un Sherpa : incalculable
- 9 Faut-il boycotter l’Everest ?
- 10 Les sujets tendances
Le tarif de base : entre 5 000 et 9 000 dollars

Un Sherpa privé pour une expédition sur l’Everest facture généralement entre 5 000 et 8 000 dollars pour l’ensemble de la prestation, soit environ 4 600 à 7 400 euros. Ce montant couvre théoriquement les deux mois complets que dure l’expédition, depuis l’arrivée au camp de base jusqu’à la redescente finale vers Katmandou.
Certains alpinistes, cherchant à maximiser leurs chances de succès, engagent même un deuxième Sherpa. Dans ce cas, il faut compter 9 000 dollars supplémentaires par guide additionnel. Cette pratique reste courante chez les grimpeurs fortunés qui veulent mettre toutes les chances de leur côté face aux conditions extrêmes de la « zone de la mort » au-dessus de 8 000 mètres.
La rémunération kilométrique dérisoire
Rapporté au nombre de jours travaillés, un Sherpa gagne donc entre 80 et 130 dollars par jour pendant l’expédition. Cela peut sembler correct au regard du niveau de vie népalais où le salaire moyen mensuel tourne autour de 300 dollars. Mais cette comparaison statistique occulte totalement la réalité du terrain.
Les Sherpas ne se contentent pas d’accompagner les clients. Ils installent les camps d’altitude, fixent les cordes dans les passages dangereux, transportent le matériel lourd, préparent les repas, montent les tentes, gèrent les bouteilles d’oxygène. Bref, ils accomplissent 90% du travail physique pendant que leurs clients économisent leurs forces pour le sommet.
Le bonus de sommet : 500 dollars de prime au succès

Tradition bien ancrée dans l’industrie himalayenne, les Sherpas perçoivent un bonus de 500 dollars lorsqu’ils mènent leur client au sommet de l’Everest. Cette prime symbolique représente à peine 10% de leur rémunération totale, alors qu’elle couronne le moment le plus dangereux de toute l’expédition.
Ce système de bonus pose d’ailleurs de sérieuses questions éthiques. Il crée une pression financière qui peut pousser certains Sherpas à prendre des risques inconsidérés pour garantir le succès coûte que coûte. Refuser de continuer face à des conditions météo dégradées signifie perdre cette prime, mais aussi compromettre sa réputation future auprès des agences commerciales.
Un pourboire attendu mais jamais garanti
Au-delà du bonus de sommet, les alpinistes sont censés laisser des pourboires conséquents à leurs Sherpas en fin d’expédition. Les montants varient énormément selon la générosité des clients, mais tournent généralement entre 1 000 et 3 000 dollars supplémentaires.
Problème : rien n’oblige légalement les grimpeurs à verser ces gratifications. Certains repartent sans laisser un centime au-delà du strict minimum contractuel, même après avoir atteint le sommet grâce au travail acharné de leur guide. Cette précarité financière contraste violemment avec les dizaines de milliers d’euros dépensés par les clients.
Ce que le tarif du Sherpa inclut réellement

Contrairement aux idées reçues, la rémunération du Sherpa ne constitue pas un salaire net qu’il empoche intégralement. Sur les 5 000 à 8 000 dollars facturés, une partie significative part en frais professionnels que le guide doit assumer personnellement.
L’équipement personnel représente le premier poste de dépense. Un Sherpa doit s’équiper de matériel haute montagne similaire à celui des clients : combinaison grand froid, crampons professionnels, piolets techniques, lunettes glaciaires, duvet extrême. L’investissement initial dépasse facilement 5 000 dollars, à renouveler tous les deux à trois ans selon l’usure.
Les bouteilles d’oxygène : une charge partagée
Chaque alpiniste utilise environ 8 bouteilles d’oxygène pendant l’ascension, à 500 dollars l’unité. Mais les Sherpas aussi ont besoin d’oxygène, particulièrement lors de l’assaut final. Selon les contrats, soit l’agence fournit les bouteilles au Sherpa, soit celui-ci doit les acheter sur son propre budget.
Dans certains cas, les Sherpas économisent sur l’oxygène pour maximiser leurs gains. Ils montent plus haut avec moins de bouteilles que recommandé, exposant leur organisme à des risques catastrophiques d’œdème pulmonaire ou cérébral. Cette économie de bout de chandelle témoigne de la précarité économique du métier.
L’assurance : le grand absent du package
Voici le scandale le mieux gardé de l’industrie himalayenne : la plupart des Sherpas ne bénéficient d’aucune assurance décès ou invalidité digne de ce nom. Les agences commerciales souscrivent le strict minimum légal, souvent dérisoire face aux risques encourus.
En cas de décès sur la montagne, la famille du Sherpa reçoit généralement entre 5 000 et 15 000 dollars de compensation. Une misère quand on sait que ce salaire aurait dû nourrir toute la famille pendant des années. Certaines organisations humanitaires ont créé des fonds d’aide, mais ils restent largement insuffisants.
Répartition estimée de la rémunération d’un Sherpa (7 000 $)
- 💰 Salaire net perçu : 3 500 $ (50%)
- 🎒 Amortissement équipement : 1 400 $ (20%)
- 🏔️ Oxygène personnel : 1 050 $ (15%)
- 🏠 Frais vie camp de base : 700 $ (10%)
- 📋 Permis et taxes : 350 $ (5%)
Les blessures invalidantes : une condamnation financière
Au-delà du décès, de nombreux Sherpas subissent des blessures invalidantes qui les empêchent de continuer à travailler : gelures entraînant des amputations, lésions pulmonaires chroniques dues aux altitudes extrêmes, traumatismes orthopédiques suite à des chutes.
Sans système de protection sociale robuste au Népal, ces guides se retrouvent brutalement sans revenu et incapables d’exercer leur métier. Les quelques milliers de dollars gagnés pendant les bonnes années s’évaporent rapidement face aux frais médicaux et à l’impossibilité de subvenir aux besoins familiaux.
La dépendance aux saisons touristiques
Un Sherpa professionnel ne travaille généralement que deux à trois mois par an pendant les fenêtres météo favorables (avril-mai pour le printemps, septembre-octobre pour l’automne). Le reste de l’année, il doit trouver d’autres sources de revenus ou vivre sur les économies accumulées.
Certains chanceux multiplient les expéditions, enchaînant plusieurs clients dans la même saison. Mais cette pratique augmente exponentiellement les risques d’épuisement et d’accidents. Monter trois fois au sommet de l’Everest en six semaines représente une sollicitation physique catastrophique pour l’organisme.
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⚡ Voir les nouveautés i-RunLa concurrence féroce entre Sherpas
Avec l’explosion du tourisme himalayen, le nombre de Sherpas disponibles dépasse largement la demande pour les postes les mieux rémunérés. Cette concurrence acharnée fait pression à la baisse sur les tarifs et pousse certains guides à accepter des conditions dégradées.
Les jeunes Sherpas débutants travaillent parfois pour 3 000 dollars seulement, espérant se faire un nom pour accéder aux expéditions mieux payées. D’autres acceptent de porter des charges surhumaines ou de prendre des risques démesurés pour se démarquer de la concurrence. Un système qui entretient la précarité.
Le business des agences : qui empoche vraiment l’argent ?

Quand un client paie 65 000 euros pour gravir l’Everest, seulement 7 000 dollars (environ 6 500 euros) vont au Sherpa, soit moins de 10% du prix total. Où partent les 90% restants ?
Les agences commerciales, qu’elles soient népalaises ou internationales, captent la majeure partie des bénéfices. Entre le permis gouvernemental à 10 000 dollars, les frais d’organisation, les marges commerciales et les intermédiaires multiples, la chaîne de valeur s’avère particulièrement opaque.
💡 Comparaison édifiante
Un alpiniste occidental dépense en moyenne 65 000 euros pour 60 jours d’expédition, soit 1 083 euros par jour incluant tous les services. Le Sherpa qui assure sa sécurité gagne 116 euros par jour, soit 11 fois moins, tout en prenant l’essentiel des risques physiques. Cette asymétrie économique reflète une forme de néocolonialisme économique où les populations locales restent cantonnées aux tâches dangereuses sous-payées.
Les agences low-cost : quand l’économie tue
Face aux tarifs premium, certaines agences népalaises proposent des expéditions « économiques » autour de 35 000 à 45 000 dollars. Comment parviennent-elles à rogner 30% sur les coûts ? Principalement en réduisant drastiquement les salaires des Sherpas et en négligeant les normes de sécurité.
Ces opérateurs versent parfois seulement 3 000 à 4 000 dollars par Sherpa, les obligeant à multiplier les clients simultanément pour joindre les deux bouts. Résultat : un guide surexploité qui encadre trois ou quatre alpinistes en même temps, augmentant exponentiellement les risques d’accidents mortels.
Les alternatives équitables émergent lentement
Conscientes de ces dérives, quelques agences éthiques ont vu le jour ces dernières années. Elles s’engagent à verser des salaires décents aux Sherpas (10 000 dollars minimum), à souscrire des assurances complètes et à limiter le nombre de clients par guide.
L’organisation Khumbu Climbing Center propose des formations gratuites pour les jeunes Sherpas, leur permettant d’acquérir des qualifications reconnues internationalement. Ces certifications justifient ensuite des tarifs plus élevés auprès des clients soucieux d’éthique.
Le mouvement pour la reconnaissance professionnelle
Plusieurs associations militent pour que le métier de Sherpa soit reconnu officiellement avec un statut protecteur, un salaire minimum garanti et une couverture sociale obligatoire. Le syndicat Sagarmatha Pollution Control Committee fait pression sur le gouvernement népalais pour imposer ces standards.
Mais les intérêts économiques en jeu freinent considérablement les avancées. L’industrie himalayenne génère des centaines de millions de dollars annuels, et les acteurs dominants n’ont aucun intérêt à voir leurs marges réduites par de meilleures conditions pour les Sherpas.
Le vrai prix d’un Sherpa : incalculable

Au-delà des chiffres comptables, comment évaluer le coût réel d’un Sherpa ? Ces hommes (et quelques femmes) consacrent leur vie à permettre aux étrangers fortunés de cocher une case sur leur bucket list. Ils sacrifient leur santé, risquent quotidiennement la mort, laissent leurs familles pendant des mois.
Depuis 1922, plus de 300 Sherpas sont morts sur l’Everest, soit environ un tiers de tous les décès recensés. Ils représentent pourtant moins de 20% des personnes qui tentent l’ascension. Cette surmortalité témoigne d’une exposition aux risques disproportionnée par rapport aux bénéfices économiques récoltés.
L’héritage toxique de l’industrie himalayenne
Les enfants de Sherpas grandissent souvent sans père, celui-ci étant décédé sur la montagne ou handicapé par les séquelles d’expéditions successives. Les villages de la région du Khumbu comptent des dizaines de veuves et d’orphelins laissés sans ressources après la disparition du seul soutien économique de la famille.
Cette situation crée un cycle de pauvreté intergénérationnelle : les fils doivent à leur tour devenir Sherpas pour compenser la perte du père, perpétuant ainsi l’exposition aux mêmes dangers mortels. Briser ce cercle vicieux nécessiterait des investissements massifs dans l’éducation et la diversification économique des régions himalayennes.
Faut-il boycotter l’Everest ?
Face à ces constats accablants, certains militants appellent au boycott pur et simple de l’Everest tant que les conditions des Sherpas ne s’amélioreront pas drastiquement. Argument compréhensible, mais qui occulte une réalité : des milliers de familles népalaises dépendent économiquement de cette industrie.
La solution passe plutôt par une pression collective des clients pour exiger transparence et équité. Refuser systématiquement les agences low-cost, poser des questions précises sur la rémunération et la protection des Sherpas, laisser des pourboires généreux… Autant de leviers pour améliorer concrètement la situation.
Les alpinistes qui dépensent 65 000 euros pour réaliser leur rêve devraient systématiquement ajouter 5 000 à 10 000 dollars supplémentaires spécifiquement destinés au Sherpa et à sa famille. Cette somme, dérisoire par rapport au budget global, changerait radicalement les conditions de vie de ces travailleurs de l’extrême.
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