La nouvelle a secoué le microcosme du running connecté : après cinq années de collaboration fructueuse débutée en novembre 2020, Eliud Kipchoge et COROS mettent fin à leur partenariat. Le double champion olympique, détenteur du record du monde du marathon et figure tutélaire de la course à pied moderne, tourne la page d’une alliance qui avait propulsé la marque chinoise sur le devant de la scène internationale. Pour COROS, cette séparation représente bien plus qu’un simple changement d’ambassadeur : elle marque un tournant stratégique radical dans un marché des montres GPS ultracompétitif dominé par Garmin, bousculé par Apple et segmenté par Suunto. La perte du coureur le plus iconique de la planète soulève des interrogations légitimes sur l’avenir de la marque et sa capacité à maintenir sa crédibilité auprès des marathoniens.
Sommaire
Eliud Kipchoge et COROS : l’histoire d’une collaboration stratégique
Quand Kipchoge a rejoint COROS en 2020
Le partenariat entre Eliud Kipchoge et COROS s’inscrivait dans une logique parfaitement opportuniste pour la marque asiatique. En 2020, COROS demeurait un acteur relativement marginal du marché des montres GPS de running, loin derrière les mastodontes établis. L’arrivée du Kenyan intervenait après ses exploits retentissants : record du monde à Berlin en 2018, puis l’audacieux projet Ineos 1:59 Challenge à Vienne où il avait franchi la barrière mythique des deux heures sur marathon. Associer son image à celle du plus grand marathonien de tous les temps constituait un raccourci marketing génial pour accéder instantanément à une légitimité mondiale. Le timing parfait permettait à COROS de capitaliser sur l’aura planétaire d’un athlète au sommet de son art, transformant une marque confidentielle en alternative crédible pour les coureurs exigeants.
L’apport mutuel : crédibilité contre innovation
Cette collaboration reposait sur un échange de valeur équilibré. COROS bénéficiait d’une exposition médiatique considérable lors des marathons majeurs, avec Kipchoge arborant ostensiblement leurs montres lors de ses victoires à Tokyo, Londres ou Berlin. La présence du Kenyan dans les campagnes publicitaires conférait une crédibilité technique immédiate aux produits, suggérant que si le meilleur marathonien du monde leur faisait confiance, elles méritaient l’attention des coureurs lambda. De son côté, Kipchoge accédait aux technologies d’analyse avancées développées par la marque : Training Hub pour le suivi d’entraînement, EvoLab pour les métriques de performance, autonomie exceptionnelle permettant des sessions longues sans recharge. Sur le plan commercial, l’impact fut mesurable : la notoriété de COROS progressa significativement dans les communautés de coureurs, particulièrement en Europe et Amérique du Nord où la marque peinait à s’implanter face à la domination de Garmin.
Pourquoi Kipchoge quitte COROS : les raisons d’une séparation

Le repositionnement stratégique de COROS vers le trail
La rupture trouve sa source principale dans l’évolution stratégique radicale opérée par COROS ces dernières années. La marque a progressivement abandonné son positionnement initial centré sur le running urbain pour embrasser pleinement l’univers du trail et de l’ultra-distance en montagne. Ce virage se matérialise par un roster d’ambassadeurs désormais dominé par des figures emblématiques des sentiers : Kilian Jornet, légende catalane de la course en montagne, Emelie Forsberg, icône du trail féminin, ou encore François D’Haene, champion français de l’ultra. Les lancements produits récents privilégient les fonctionnalités dénivelé, cartographie topographique et autonomie extrême, caractéristiques recherchées par les trailers plutôt que par les marathoniens. Cette réorientation crée une incompatibilité croissante avec Kipchoge, dont l’image reste indissociablement liée au macadam des grandes métropoles et aux chronos sur route goudronnée. Maintenir cette collaboration aurait dilué le message marketing de COROS en brouillant son identité nouvellement construite autour de l’aventure montagnarde.
La fin d’un cycle marketing pour les deux parties
Après cinq saisons de partenariat, la relation avait probablement atteint ses limites en termes de retour sur investissement marketing. Pour COROS, la nécessité de cohérence d’image primait désormais : comment justifier un positionnement trail assumé tout en conservant un ambassadeur exclusivement routier ? La marque devait choisir entre deux chemins divergents. Du côté de Kipchoge, d’autres opportunités lucratives se présentaient vraisemblablement avec des concurrents mieux établis ou des marques lifestyle capables d’offrir des contrats plus substantiels. Garmin, Nike ou d’autres acteurs majeurs disposent de budgets autrement plus conséquents. Par ailleurs, la valeur ajoutée technologique initiale s’était peut-être érodée : les montres COROS n’offrent plus aujourd’hui d’avantage décisif comparées aux Garmin Fenix 8 Pro ou Forerunner 965 en termes de métriques de course. Le calcul financier et stratégique conduisait naturellement à cette séparation à l’amiable.
Le contexte concurrentiel du marché des montres GPS
Cette rupture intervient dans un contexte industriel impitoyable où Garmin écrase littéralement la concurrence avec près de 60% de parts de marché dans le segment running avancé. La firme américaine multiplie les innovations avec sa gamme Fenix, les Forerunner spécialisés et les Enduro orientés ultra-endurance, rendant difficile toute différenciation pour les challengers. Parallèlement, Apple Watch grignote des parts significatives sur le segment grand public du running connecté malgré une autonomie limitée, compensée par l’intégration écosystémique séduisante. Face à cette double pression, COROS devait trancher : soit continuer à affronter frontalement Garmin sur tous les segments avec des ressources limitées, soit se concentrer sur une niche défendable. La spécialisation trail représente cette échappatoire stratégique, mais elle impose de sacrifier les symboles du running route, dont Kipchoge constitue l’incarnation absolue.
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Perte de crédibilité instantanée sur le segment route
Le retrait de Kipchoge du portfolio COROS fragilise immédiatement la perception de la marque auprès des marathoniens et coureurs route. Les athlètes recherchant la performance pure sur asphalte pourraient légitimement se demander si les montres conservent leur pertinence technique sans l’aval du plus grand spécialiste mondial.
Ce phénomène psychologique, bien que possiblement irrationnel d’un point de vue strictement technologique, pèse lourd dans les décisions d’achat d’équipement sportif où l’identification aux champions joue un rôle déterminant. D’autres marques ont connu des trajectoires similaires après avoir perdu leur figure de proue : lorsque Suunto a vu partir plusieurs ambassadeurs trail majeurs au début des années 2010, la firme finlandaise a mis plusieurs années à reconstruire sa légitimité. COROS risque un retour à l’anonymat relatif sur le segment route, laissant le champ libre à Garmin qui domine déjà largement ce territoire avec ses Forerunner plébiscités par les clubs d’athlétisme et marathoniens amateurs.
Nécessité de reconstruire un storytelling différent
Cette rupture contraint COROS à réécrire intégralement son récit de marque. Fini le storytelling centré sur la vitesse pure, les chronos records et la quête du sub-2h : place désormais au narrative de l’endurance extrême, des sommets alpins et des traversées au long cours. Ce pivot narratif comporte néanmoins une opportunité intéressante : le trail running valorise l’authenticité et la connexion à la nature plutôt que le marketing tape-à-l’œil souvent associé au running urbain sponsorisé.
Suunto a magistralement réussi cette transition en construisant une identité forte autour de l’exploration montagnarde et de la communauté des aventuriers, sans dépendre d’une superstar mondiale unique. La marque finlandaise prouve qu’un positionnement trail cohérent et assumé peut générer une fidélité client remarquable. COROS pourrait s’inspirer de ce modèle en cultivant une image de marque d’initiés, privilégiant la substance technique à la célébrité médiatique, quitte à renoncer aux volumes de vente massifs du segment grand public.
Impact commercial potentiel
Sur le plan strictement commercial, les répercussions pourraient se révéler contrastées selon les segments. Les marathoniens urbains, coureurs de 10 km et semi-marathons, particulièrement sensibles à l’image véhiculée par Kipchoge, risquent de se détourner vers Garmin ou d’autres alternatives éprouvées. Ce public représente un volume considérable dans les pays occidentaux où le running route demeure la pratique majoritaire. En revanche, les trailers, ultra-runners et alpinistes, moins influencés par les ambassadeurs route et davantage attentifs aux spécifications techniques pures, devraient rester fidèles voire se renforcer dans leur adhésion.
Quentin, 26 ans, passionné de trail : suivez mes aventures au cœur des sentiers, entre défis sportifs et communion avec la nature.


